En résidence à la papeterie de Vaux tout le mois
de juillet, Coralie Grandjean a installé ce mois-ci une
création papier et photographique qui sera en place
jusqu'à fin septembre.
À l'instar de nombreux artistes, cette jeune plasticienne
est rompue à plusieurs formes d'expression qu'elle conjugue
au gré de ses inspirations et de ses rencontres avec les
paysages, urbains ou naturels, qu'elle croise. C'est la
première fois qu'elle s'égare loin de ses bases
urbaines, après Marseille, où elle
réside, Alger, Bruxelles et plus récemment Turin.
Diplômée de l'école
supérieure des Beaux-Arts de Marseille, Coralie Grandjean
est une créatrice à plusieurs facettes,
également animatrice culturelle pour la cité
phocéenne, ainsi que médiatrice pour des
galeries.
Elle a été conquise par la papeterie de Vaux et
la campagne environnante. Elle a fait cueillette de feuilles au bord du
ruisseau des Belles Dames, les a transcrites sur papier, agrandies,
découpées et doublées de calques
colorés. Au final, plus de 1 000 de ces feuilles sont
accrochées dans la salle d'exposition de
l'écomusée, ainsi transformée en une
jungle familière où s'ébattent des
lapins de papier sous l'œil vigilant d'un lion à
la gueule ouverte, sculpté dans du rude papier de l'usine
Ragot, faussement méchant, semblant tout droit sorti du
« Magicien d'Oz » ! Chacun peut
découvrir cette installation colorée et mouvante
en se faufilant dans ce tunnel de lianes, qui fait voyager autant que
s'interroger les visiteurs de tous âges. Au mur, une
quinzaine de photos illustrent le goût de Coralie Grandjean
pour les mondes d'apparence qui se cachent dans notre quotidien. Des
bâches de chantier, de Marseille, Lisbonne, Paris ou
Montréal, confrontées à de vrais
éléments végétaux,
illusionnent le regard captif du passant.
Pierre Thibaud
Président de la Papeterie de Vaux, août 2015.
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Devant / Dedans
Au hasard de promenades, je rencontre des formes.
Des formes qui détonnent.
Ces trouvailles deviendront «des pièces
rapportées» dans l’atelier, des images
photographiques ou des matériaux pour de futures sculptures.
Décors
Mes images racontent des histoires de point de vue.
Dans un même cadre sont rassemblés des
éléments aussi proches dans leur situation
géographique que lointains par leur nature ou leur sens.
L’image composée joue de la superposition des
plans. Je propose ainsi une lecture multiple du paysage, vision
ironique ou décalée sur le décor de
nos vies.
Accessoires
Les objets glanés sont usés ou cassés.
Je les sélectionne selon leur matière ou leur
couleur.
Dans une démarche burlesque, je les démonte et
les remonte selon une méthode de bricolage
non-académique.
Je leur donne ainsi une nouvelle fonction, une nouvelle place, une
nouvelle plastique.
Acteurs
En contrepoint de mes travaux issus de
l’esthétique du bricolage, les pièces
récentes représentent des formes figuratives
faites de papier, carton et scotch.
Elles sont fragiles. Allégories d’une
humanité : précaire,
éphémère et périssable.
Photographies, objets ou formes figuratives oeuvrent au final sur une
même sensibilité physique de
déplacement.
Un jeu entre l’art et la vie.
Ces pièces traduisent une vision tantôt
inquiète, tantôt optimiste, souvent
amusée, d’un monde où affleure sans
cesse l’absurde.
Coralie Grandjean, 2013
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Cela commence par un jeu de trouvailles, objets et images
glanées dans nos
paysages quotidiens, rues et autres lieux publics communs, morceaux
choisis de
réalité non artistique comme autant de
pièces rapportées. Leurs états
d’être et
de vécus agissent dans la pratique de sculpture comme
matériaux de composition
formelle, narrative et éthique.
Les sculptures figuratives de Coralie Grandjean s’inscrivent
dans un rapport
physique et visuel destruction/construction, une économie de
moyens qui
développe une esthétique
«pauvre» adaptée à notre
société de production
et de consommation jusqu’à en épuiser
le «rationalisme» de sa stratégie de la
déception pensée en vertu du désir
(dialectique la fin du monde/la faim du
monde).
La série Cache misère se combine avec une ironie
sensible dans cette histoire
contemporaine et sa mythologie du kitsch. Elle doit être
comprise littéralement,
dans une dynamique d’épuisement du sens
où le regard ne perçoit pas un
trompe-l’oeil et son exploit mimétique, mais la
représentation d’un trompe-l’oeil en
représentation,
qui «essaye de faire bonne figure» mais qui prend
forme au moment
tragicomique de la chute. Un trompe-trompe-l’oeil
où la vérité n’est plus
celle
du sujet mais bien celle de sa Vanité et du rire
qu’elle produit.
Luc Jeand’heur, 2011
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Deux filles décidées à «
mettre de la poésie sur les trottoirs », font des
rebuts une version revue et donnent une correction aux apparences. Les
entités nocturnes investissent leur univers et prennent
alors des proportions démesurées ; ce
n’est plus seulement des dessous du lit que des monstres
semblent dépasser… Au sein des propositions de ce
duo de plasticiennes, on aperçoit des membres
d’animaux (travaillés à
l’aide d’un matériel de base qui affiche
la volonté d’une économie de moyens :
bois, sacs en plastique et autres déchets)
émergeant de meubles souvent glanés chez
Emmaüs. « D’un canapé sort une
queue de rat (d’au moins 1m55 !), […]
d’une armoire sortent des grosses pattes pleines
d’écailles et de griffes… ».
Posant la récup’ comme colonne
vertébrale des installations in situ, Coralie Grandjean et
Stéphanie Ruiz créent la surprise à
travers une quête artistico-philosophique
intégrant sculptures
éphémères aux containers de recyclage
ou aux zones extérieures, vouées à nos
détritus sans cesse amoncelés, et qui deviennent
ainsi lieux de monstration. Telle Manon aux Pays des poubelles, nous
sommes projetés dans un questionnement multiple : comment
faire d’un endroit malpropre (inclus à
l’espace public mais exclu de fantaisie) une interface
d’expression ? De quelle manière amener le
spectateur à déceler, malgré ses
préjugés, dans les «
condensés révélateurs » de
notre intimité que sont nos saletés
abandonnées, une véritable richesse, «
une amorce à l’imaginaire » ? Traces
photographiques et témoignages au hasard des rencontres
relateront les effets du commano créatif.
Marika Nanquette-Querette, 2011